Année 1916, la terreur des gaz.

Amie c’est la guerre, épisode 10 de la série des Pur

Le Plessis-Brion (Oise)], 5 avril 1916

[Henri Arnaud à Théonie Arnaud]

Amie,

Assis au pied d’un chêne, dans une forêt après déjeuner, je t’écris quelques mots. Parti ce matin a 5 H ½, nous ne rentrerons que ce soir a 5 H. Construction d’abris et d’emplacements de mitrailleuses, transport des rondins et matériaux : voilà sans doute ce que nous allons faire tous les jours. Si seulement on travaillait utilement… Ce matin, après une heure de travail tout était ébauché, lorsqu’il a fallu tout refaire a 10 mètres a côté, les mesures ayant été mal comprises d’après le plan indiqué. A 9 H ½, arrive un officier du Génie qui, après avoir examiné notre second travail, fait arrêter les travaux en disant que tout était a recommencer, que ce n’était pas ici mais un peu en arrière. Donc, il va falloir dans un instant démolir ce que l’on avait fait et recommencer par ailleurs. Si cela continue ainsi, je crois qu’il y en aura jusqu’à la Saint-Sylvestre, ou plutôt jusqu’a la fin de la guerre, et je souhaite qu’elle soit finie avant.

Je ne sais si nos lettres nous serons apportées ici ou si on ne nous les donnera que ce soir a notre retour. Maintenant, amie, que je te parle un peu de notre expérience de hier contre les gaz. Comme je le disais, c’était bien une épreuve autant pour les pièces que pour les hommes. Les gaz chlorhydriques ont la propriété d’attaquer les métaux et l’on voulait savoir combien de temps une pièce pourrait fonctionner environnée de gaz. Les bandes et les cartouches étaient a la fin complètement oxydées, la pièce toute noire et crasseuse, mais néanmoins [elle] a toujours fonctionnée a part quelques enrayages ordinaires et qui se produisent également a l’air libre. Nous étions dans un abri sous terre, et la nappe de gaz nous était envoyée par en dessus. Le tir a duré 2 H ½. L’abri était complètement clos, ce qui fait que rien ne pouvait s’échapper, ce qui nous donnait une atmosphère chlorée au moins 3 fois aussi forte que l’on puisse en recevoir dans une attaque. Nous étions donc 3 ou 4 par pièce, plus les sous-officiers et officiers, les médecins, le Commandant du bataillon et un Capitaine du corps d’armée. On devait, par équipe de 3, rester chacun 40 minutes en tirant a cadence lente (j’étais de la 3e).

La première équipe commence donc. Environ un quart d’heure après le commencement, le tireur de la première équipe, se disant incommodé, sort de l’abri et va tomber comme une masse a quelques mètres. On apporte le brancard, les infirmiers et les médecins présent lui donne des soins (respiration artificielle avec ballon d’oxygène). Au bout de quelques minutes, il reprend connaissance et on le transporte a l’infirmerie. Une heure après il était complètement remis. Quelques minutes après le premier accident (22 minutes, exactement, sous les gaz), le Commandant tombe avant même d’avoir pu franchir la porte. Plus intoxiqué, il est assez longtemps sans donner signe d’existence. Enfin, il revient a lui également. Voyant cela, on fait arrêter le tir, on ouvre les portes de l’abri, on laisse le chlore qui se dégage s’échapper librement, et chacun a son tour prend son masque, va tirer quelques bandes et ressort. De cette façon aucun autre n’a été incommodé car, par suite de l’ouverture des portes, et avec la même émission, les gaz ne se condensant pas étaient bien moins dangereux. En plus, au début, tout était clos, il y avait la respiration naturelle des hommes et la fumée et la chaleur produites par la pièce, ajoutés au chlore, qui rendaient le réduit intenable. Il n’y avait plus que de l’acide carbonique, d’où asphyxie partielle. Ce qu’il y a d’a peu près certain, c’est qu’avec un masque en bon état, et si on peut l’appliquer a temps, on peut facilement braver les gaz, a condition que, a moins de nécessité de service, l’on se tienne a l’air libre, c’est a dire hors des abris. Même, [il est fortement recommandé de] ne pas se coucher dans les boyaux. […]

[Arnaud Henri]

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17 mai 1916

[Théonie Arnaud à Henri Arnaud]

Ami,

Toujours mal aux dents, alors ? Je n’envie pas trop cependant. J’ai toutes les dents apparentes mais sur un côté il ne m’en reste plus que deux. La plaie qu’a causé l’extraction de la dernière ne guérit pas et j’en souffre aux moindres fraîcheurs. Pas aujourd’hui, il fait chaud, le soleil de mai mûrit l’herbe et bientôt il faudra faucher. Et pas plus de monde qu’il y a un an ! Les jours sont bien longs de 4 heures du matin a 9 heures du soir, mais ça ne fait rien, on ne peut tout faire. Si on avait encore courage, mais qui peut en donner ? 

L’on ne voit pas venir le bout de cette terrible guerre. Ce qui vient, c’est les mauvaises nouvelles : un tel est disparu, un autre mort ou blessé. Et voilà, les hommes disparaissent et la guerre dure. Ceux qui restent y sont de plus en plus mal. Tous se plaignent de la réduction de la nourriture, des travaux et…de tout, enfin.

On taxe certaines denrées mais tu comprend bien que l’intermédiaire veut gagner autant, et c’est le cultivateur qui trinque. Les engrais chimiques sont rendus a 12 ou 13f la balle, les domestiques a 100f par mois et nourris, tout ça pour faire pousser du blé a 24f les160 ! Et les réparations a l’outillage, ce n’est pas rien. Jusqu’aux moindres choses qui sont très chères. J’ai eu hier cinq clous (taches de sabots) pour un sou ! Ma ferrure serait en argent qu’elle ne me coûterait guère plus. La marchandise en magasin gagne plus que l’argent en bons du Trésor. Tous les marchands doivent souhaiter la continuation de la guerre.

Pour mes lettres, ami, fais en ce que tu voudras, mais quand je te dirai de les garder, détruis les tout simplement. Allons, aimé, bon courage quand même. Les choses dont tu te plains sont peut-être un indice que le bout est proche. Mais d’ici là… je tremble.

Ami, je t’aime de tout mon cœur. Reçois les plus tendres baisers de celle qui t’adore.

[Théonie Arnaud]

Je sais que tu as eu mon colis, mais n’as tu pas trouvé un petit bout de saucisse ? Je t’aime.

SORTIE LE 28 MAI EN LIBRAIRIE

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