La chasse à l’hippopotame, un des célèbres films de Jean Rouch. Sa voix tranquille nous mène vers l’épopée de ces pêcheurs-chasseurs.
Jean Rouch (1917-2004), L’homme de la découverte tranquille
Suivre la caméra de Jean Rouch est avant tout la découverte d’un rythme. Avec lui le cinéma ethnographique acquiert ses lettres de noblesse.
Il prône un cinéma poreux et refuse, au nom de la science, cette soi-disant « objectivisation » qui milite pour la séparation de l’observant et de l’observé ; lui choisit d’être partenaire de ceux qu’il filme. Cette notion clé « d’anthropologie partagée » constitue un socle de son éthique largement reprise depuis.
Son empreinte est évidente par le professionnalisme qui caractérise ses films. Ce faisant il surpasse ses confrères français comme Marcel Griaule ou anglo-saxons comme Margaret Meade. Une autre de ses originalités est de conjuguer, tout au long de sa carrière, son poste de recherche et son activité cinématographique.
Certes Rouch a bénéficié de conditions favorables. Alors qu’il n’est que doctorant en 1947, il obtient un poste au CNRS et il devient, quelques années après, le secrétaire général du comité du film ethnographique. Ce comité, soutenu par des personnalités comme Marc Allégret, Marcel Gruiaule, Leroi-Gourhan ou Claude Lévi-strauss participera à presque toutes ses entreprises. Et, dans les années 50, il finit par installer son bureau au palais de Chaillot.
Ces conditions favorables n’expliquent pas complétement l’immensité de son œuvre; un océan comme le dit Paul Henley ! Plus de 100 films réalisés et près de 70 inaboutis en 70 ans de carrière. Certains de ses films sont des témoignages, parfois uniques, de pratiques ou coutumes de communautés rurales ou urbaines de l’Afrique de l’Ouest dont certaines sont parfois, aujourd’hui, quasiment disparues. Attention, l’auteur nous rappelle que tous ne sont pas ethnographiques ; trois sont mêmes des films publicitaires. D’autres sont ce qu’il appelait des « ciné-portrait » ou des « ciné-poèmes ». Toutefois avec près de 50 films ethnographiques, Jean Rouch reste le cinéaste le plus productif. Il fut aussi un photographe remarqué par Jean Depardon. Ses clichés du Niger furent édités chez Nathan, Le Niger en pirogue, et exposés au Musée de l’homme en 2000.
Bon orateur, il parle d’un voix limpide, tranquille et posée. Cette même voix sert de voix off à ces documentaires qui en garde le trait. Ces publications écrites sont nombreuses aussi. A commencer par sa thèse de doctorat soutenue en 1952, publié en 1960 puis une seconde fois en 1989 sous le titre La Magie et la Religion songhay. Elle relate son travail de plusieurs années chez les Songhay-Zarma. Il contribue aussi à des enquêtes statistiques, des catalogues de l’Unesco, des articles, des interview et sans oublier son mémoire complémentaire à sa thèse. Autant dire que l’homme est riche.
L’ouvrage ici se focalise plus sur la première période de cinéma ethnographique de Rouch pour en examiner les techniques d’enregistrement, de montage en éclairant ses choix esthétiques, épistémologiques, éthiques. Sa technique il l’apprend en regardant des films et en pratiquant.
L’auteur nous apprend qu’il acheta, en 1947, sa première caméra sur le marché au puce de Saint-Ouen. Une Bell§Howell de 16 mm? E, 1957, il tourne Moi avec elle et reçoit le prix Louis Delluc en 1958.
Henley réaffirme la quête et l’exigence de liberté qui animait Rouch. Son enseignement souvent parcellaire sur son cinéma . Toutefois, il publie un texte manifeste en 1979 intitulé la caméra et les hommes.
L’auteur n’oublie pas enfin de présenter les deux puissants courants d’influences de Rouch; la sociologie de Mauss et le suréalisme!
L’aventure du réel
Pour aller plus loin : Paul Henley, Joelle Hauzeur (trad), Jean Rouch et la pratique du cinéma ethnographique, préface d’Antoine de Baecque, Pur, 518p, 2020. 30 euros. http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4992
On oublie trop souvent le Rouch photographe lui pensait fiction, imaginaire et réel ensemble.


