La guerre, encore la guerre…une guerre qui gagne toujours plus le quotidien d’Henri.

Amie c’est la guerre, épisode 8 de la série des Pur

[Vallée de l’Aisne, vers Attichy (Oise)], le 20 octobre 1915

[Henri Arnaud à Théonie Arnaud]

Amie,

Après un magnifique souper, la moitié d’une patate, un bout de viande pas trop fameux, le tout arrosé de sauce un peu claire, tout en digérant, je t’écris assis sur une planche, mon papier reposant sur la plate forme en terre ou est placée notre mitrailleuse et éclairé par un bougie plantée dans le goulot d’une bouteille. C’est là que nous mangeons, tout autour de la pièce, notre table était bien ornée. Car en effet nous avions une magnifique « pièce montée » au milieu, mais elle n’est pas en nougat ou en chocolat, car sans cela je crois bien qu’on aurait commencé par lui sucer l’un les pieds, l’autre la beche, les autres la vis telescopique, ou le levier d’armement, ou le pistolet, ou la détente, ou le radiateur, ou le piston moteur, ou le manchon de chambre a gaz, ou le couloir d’alimentation, ou le ressort de rappel, ou la contre culasse, ou le canon, ou l’éjecteur, l’extracteur, le percuteur, peut-être même les cartouches. Hein, qu’en penses tu ? Je ne sais si tout cela serait facile a digérer. Ce que j’ai mangé sera, je crois, plus facile, et cependant j’en oublie la hausse, le guidon, le verrou de fermeture, la culasse mobile, les tourillons, les serre bandes, le volant de pointage, les leviers de blocage, l’entraineur, le segment, le secteur strié, les mâchoires, la chappe d’attache, la grande gaine, la petite gaine, le trou de l’évent et le trou de…

Amie, tu dois te dire : « Il est fou ! » Je ne crois pas mais je ne sais quoi te dire. Demain matin nous avons a travailler et je n’aurai pas le temps [de t’écrire], et comme ce soir je suis de service jusqu’à minuit j’en profite pour bavarder. Les boches sont de sales copains. Pas une seule journée sans qu’ils ne nous envoie pas quelques obus. Ce sont nos abris de mitrailleuses qui les embêtent. Aujourd’hui encore une arrivée de « bleus ». Depuis quelques jours il en arrive constamment, venant du dépôt, vieilles classes ajournés, repris au service actif, embusqués, etc… de Poitiers, Saint-Maixent, Issoudun, tout cela vient au 68e [régiment d’infanterie territoriale]. Ils ont l’air ahuri et ils se demandent ou ils sont. Mais c’est l’affaire d’une semaine. 

Boum boum boum ! Vlà une rafale qui passe !

Allons, amie, bonne nuit, dors bien dans ton lit bien chaud, moi je vais rester jusqu’a minuit a veiller sur une planche, et le reste je me roulerai dans ma couverture. Mais bah ! on suppose que l’on est bien couché et l’on dort quand même ; seulement il y a les puces, les rats, et Guérin le ronfleur.

Allons, bonsoir et bonne nuit a tous, aussi que bonne santé. Amie, a toi toujours, je t’aime, mille et mille baisers les plus doux.

Arnaud H[enri]

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25 octobre 1915

[Théonie Arnaud à Henri Arnaud]

Ami,

A l’heure où je t’écris nous sommes tous réunis, sauf ta mère, autour de la lampe. Ton père lit son journal, Henriette et Madeleine sont occupées a regarder un beau livre d’images (une Histoire de France par l’image et en couleurs) qui a été ramassé dans une cartonnerie de Pont-a-Mousson et qu’on m’a prêté. Leurs deux têtes se touchent, elles ne songent pas a se fâcher et le tableau est joli, quoique incomplet, puisque tu n’es pas avec nous. Mais ton souvenir est toujours présent et, ainsi que de coutume, je fais une petite causerie avec toi, avant de me retirer dans notre chambre.

Je vais te dire ce que j’ai vu aujourd’hui. D’abord la noce Delezay-Gougeau. Elle est passée devant la porte, se rendant a l’église, donc j’ai pu profiter du coup d’œil sans me déranger. Pas de bruit, pas de musiques, pas de toilettes. La mariée avait une ancienne robe d’avant la guerre et les demoiselles, peut-être une dizaine, se donnaient le bras faute de cavaliers, car l’élément féminin dominait « par le nombre ».

Ce soir, spectacle infiniment plus triste : une auto de l’hôpital de Niort est venu chercher Percheron, dit Hichet. Il est complètement fou et croit aller a la guerre, ou plutôt a Poitiers, rejoindre son frère. Il a 18 ans. N’est-ce pas que c’est lamentable ?

Il paraît que cet hiver l’administration militaire songe a garantir ses troupes du froid. Manson, Rivault, Moïse Gougeau ont reçu tout ce qu’il leur fallait. Cela ne prouve pas que tout le monde sera aussi bien partagé, et je te répète encore une fois que ton paquet est tout a ta disposition pour quand tu le voudras.

Qui sait, ami, quand on pourra se revoir. Que de pages a barbouiller encore avant la réunion définitive ! Qu’elle se fait donc attendre ! Et toujours cette guerre s’étend et s’allonge. Déjà tu souffres du froid, tu me l’as dit dans ta carte du 21. Tu m’avises aussi que tu as reçu la mienne. Elle n’était pas des plus nouvelles mais on la remettrait d’actualité avec plaisir, hein ?

Bonsoir, ami, dors bien a côté de ta « pièce montée », et surtout ne mords pas dedans ! Ami, je t’aime et t’envoie les meilleurs baisers de ta 

Th[éonie] Arnaud

Je t’aime. Tu m’avais renvoyé une paire de gants en étoffe. Préférerais-tu des mitaines comme tu en portais autrefois, ou t’enverrai-je les deux ? Un baiser. Je t’aime.

SORTIE LE 28 MAI EN LIBRAIRIE

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