La Guerre inéluctable de Simon Catros : Un ouvrage majeur pour une réévaluation de la situation politique et militaire de la France en 1939!

Première recension sur le blog Des étagères et des livres : L’impressionnante articulation de la politique étrangère française!

http://desetageresetdeslivres.over-blog.com/2020/04/la-guerre-ineluctable-les-chefs-militaires-francais-et-la-politique-etrangere-1935-1939-de-simon-catros.html

Loin du tumulte des champs de bataille, du labeur dans les usines d’armement, des familles restées à l’arrière, une guerre se joue également au sein des états-majors qui la planifient et la conduisent. La préparation d’un conflit n’est pas seulement affaire de matériels, de divisions et de manœuvres. C’est également un contexte international dans lequel une nation cherche des alliés pour consolider au mieux sa position tout en affaiblissant celle de l’ennemi futur. La France des années 1930 est un très bon exemple de cette situation. Dans la Guerre inéluctable, les chefs militaires français et la politique étrangère, 1935-1939, Simon Catros nous livre une solide étude de la place des états-majors dans le processus décisionnel de la politique étrangère française.

Une politique étrangère intègre de nombreux outils, parmi lesquels l’outil militaire. En cette période de crise et de résurgence d’une menace allemande à la frontière rhénane, les armées et leurs chefs occupent une place majeure, incontournable dans dans la diplomatie française. Les renseignements obtenus, leur exploitation, les options militaires élaborées par le haut commandement influent dans les décisions finales du gouvernement. L’idée maîtresse de la Guerre inéluctable est limpide : les officiers généraux ne déterminent pas la politique étrangère de la France. Du fait de leurs avis, ils en sont néanmoins des acteurs à part entière du fait d’un rapprochement politico-militaire inédit dans l’Histoire de France. Parmi eux, le général Gamelin. Il en ressort de ce dernier une image assez positive à la lecture de l’ouvrage. Conscient du danger que fait peser l’Allemagne hitlérienne sur la France, bien qu’il ne soit que primus inter pares (comme l’écrit Simon Catros) parmi les autres chefs d’état-majors, Gamelin travaille inlassablement pour peser dans les décisions de politique étrangère afin de garantir à la France des alliés solides en cas de guerre. Ce rôle méconnu de Gamelin, vaincu de 1940 pour l’éternité, est l’un des nombreux points stimulants de la Guerre inéluctable.

La première partie de l’ouvrage consiste en une passionnante présentation des états-majors généraux d’armée (armée de terre, marine, armée de l’air, colonies), leurs structures, leurs visions. L’absence d’un état-major central (tel que l’Etat-Major des Armées aujourd’hui) empêche malheureusement les armées d’unifier leurs vues tandis que de nombreux biais ou représentations culturelles dépassées faussent l’analyse des rapports de force. Enfin, comment les états-majors généraux font-ils face aux crises successives qui mènent à la Seconde Guerre mondiale ? Comment analysent-ils la menace allemande ? Quelles conclusions est-ce qu’ils en tirent sur le plan des relations internationales ? Le contenu et le sujet sont passionnants. L’auteur expose clairement ses analyses mais celles-ci peuvent se révéler parfois ardues pour un lecteur peu familier avec le vocabulaire d’état-major. Cela ne doit toutefois pas dissuader le lecteur curieux de découvrir cet aspect méconnu, celui de la confluence politico-militaire, indispensable pour construire une politique étrangère solide, dotée de tous les outils nécessaires. Si cette croisée des chemins est beaucoup plus naturelle aujourd’hui, la Guerre inéluctable nous montre la construction de ce processus.

Avril 2020.

Seconde recension sur le blog 3945km.com Une faillite de l’armature industrielle française!

De « l’étrange défaite de 1940 » ressort traditionnellement l’image d’un haut-commandement français dépassé, absent, incompétent. Au moment des combats de mai et juin 1940, mais également dans les années qui précèdent. Une légende construite dès Vichy et entretenue après-guerre par la geste gaullienne pour conforter la stature visionnaire du chef de la France Libre. Comme il était logique, mais quelque peu refoulé, la réalité est en fait beaucoup plus complexe. Sans pour autant absoudre de tous les maux, ceux qui sont aux manettes et qui n’en portent pas moins la responsabilité de l’effondrement français.

Ce livre propose un angle d’approche particulièrement original en partant de l’attitude et des réactions des états-majors militaires de 1935 à 1939 face à la montée des périls en Europe. C’est un ouvrage universitaire, plein de notes et de références aux documents d’époque. Autant, les amateurs avertis de la chose militaire et de cette période savent en apprécier le contenu, autant le grand public risque d’avoir un peu plus de difficulté à replacer le contexte. Les notes en bas de page renvoient aux sources et non à des éléments de contexte qui permettent d’accompagner des lecteurs moins férus.

Sur le fond, le lecteur va de découverte en découverte. Extravagant aujourd’hui, les armées sont à l’époque divisées en trois états-majors avec leurs propres renseignements militaires et représentations ministériels. Les équipes de François DARLAN, Joseph VUILLEMIN et Maurice GAMELIN ont des positions quelques fois divergentes en fonction de la situation et des intérêts de leurs propres armes. Les concernant, première surprise, il n’y a cependant pas d’aveuglement généralisé, bien au contraire. Les dangers sont clairement identifiés. Les opportunités aussi.

Seconde surprise, le rôle de Maurice GAMELIN. Dans un contexte politique interne compliqué et dans une organisation militaire non unifiée, il joue un rôle de lien et d’apaisement qui permet de faire avancer certains sujets. Sa capacité d’analyse est évidente. Sa finesse politique aussi. Il sait naviguer et pousser ses pions. Loin du personnage falot et immobile parfois décrit. Mais avec toujours une certaine constance : il suggère, mais ne s’impose pas. Des trois chefs d’état-major, Joseph VUILLEMIN apparaît être le plus ambiguë dans ses positions.

Troisième surprise, les armées sont ambitieuses et loin d’être figées. Mais elles n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Y compris pour aider leurs alliés, l’industrie française se heurte à un mur capacitaire et technologique. Elle ne peut satisfaire les besoins militaires français et alliés, même si les budgets sont là. Alors que côté allemand, une dynamique s’installe, bouillonne même, la France ne sait pas relever ce défi. Un volet à creuser dans un autre ouvrage…

Quatrième surprise, l’échiquier européen est beaucoup moins uni face au nazisme qu’il n’y parait. Chaque pays joue sa propre partition. Le rôle de la Pologne est particulièrement ambiguë, elle est traversée par des courants contraires et ne sait pas trouver le juste équilibre entre ses encombrants voisins (Allemagne d’un côté, URSS de l’autre) et ses visées territoriales sur la Tchécoslovaquie. La Grande-Bretagne poursuit elle aussi son propre chemin. La Yougoslavie aussi. Les militaires français essayent à tout prix de maintenir les liens avec l’Italie, mais ils sont bien esseulés. A force de vouloir se mettre bien avec tout le monde, la France se retrouve sans réel allié fidèle avant 1939. La Tchécoslovaquie semble être le partenaire le plus fiable et le plus respecté. L’abandon de Munich est donc d’autant plus préjudiciable et impardonnable qu’il est fait en toute connaissance de cause par les responsables politiques bien avertis par leurs armées et un Maurice GAMELIN alors prêt à aller au combat.

Cinquième surprise, ce n’est en effet pas la volonté de vouloir intervenir qui limite les militaires, mais celle ne pas se sentir capable d’y aller seuls. Crainte des capacités allemandes qui sont surestimées et étonnant complexe d’infériorité qui pousse à chercher absolument des alliés pour intervenir de concert. Or, le leadership politique n’est pas assez fort pour s’imposer dans la cacophonie européenne.

En conclusion, une lecture indispensable qui éclaire le contexte européen d’avant-guerre et qui explique comment Adolf HITLER s’est frayé un chemin en profitant des divisions des pays qui l’entourent. La France se rend coupable de vouloir jouer trop le multilatéralisme pour ne froisser personne et surtout, ne résout pas ses difficultés industrielles qui sont un vrai frein à l’aide apportée à ses alliés (donc à sa crédibilité dans ses alliances) et au renforcement de ses propres forces. Être lucide, c’est bien, mais c’est loin d’être suffisant. Seuls les résultats comptent, et dans le cas de 1940 et des années qui précèdent, ils sont désastreux. Ce refus d’assumer les conséquences de sa puissance et de sa position est une leçon toujours d’actualité quatre-vingt ans plus tard.

Troisième recension sur le blog Guerres et conflits XIX-XXIe siècle Une étude fine de la place des Etats-majors généraux.

http://guerres-et-conflits.over-blog.com/2020/02/militaro-diplomatique.html

Le sujet est essentiel car, à l’automne 1939, dans une sorte d’inventaire à la Prévert, les dirigeants français derrière Gamelin ajoutent les divisions turques aux grecques, aux roumaines, aux yougoslaves pour se persuader que les “Alliés” disposent de davantage de soldats et de matériels que les Allemands… Par ailleurs, on sait que la distorsion entre les choix diplomatiques et les capacités militaires expliquent en grande partie l’abandon à deux reprises de la Tchécoslovaquie. La question est donc d’importance.

Simon Catros a divisé son étude en neuf grands chapitres. Il s’intéresse d’abord aux états-majors généraux des trois armées (cette approche comparative interarmées est indiscutablement l’une des forces de l’ouvrage, même si l’Armée -de Terre- est indiscutablement la plus importante), à leurs structures et à leur fonctionnement, puis au rôle des militaires dans l’élaboration de la politique étrangère. Si l’auteur scande bien les différentes périodes et souligne les innovations utiles, il se montre à notre sens un peu trop optimiste sur la réalité de cette influence. Les chapitres qui suivent (3 à 5) sont consacrés à la perception, via les services de renseignement, des principaux acteurs sur la scène internationale : l’Allemagne, bien sûr, mais aussi l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, la Tchécoslovaquie, la Pologne, les Etats balkaniques et l’URSS. La surévaluation constante de la puissance allemande est une réalité, et l’on aurait pu insister sur la place des décisions britanniques dans les choix français. La dernière partie (chap. 6 à 9) traite de la période 1936-1939, de la remilitarisation de la Rhénanie aux déclarations de guerre, avec des points forts (la crise avec l’Italie, la guerre d’Espagne, l’affaire des Sudètes) et d’autres moins convaincants (la Rhénanie, l’alliance avec la Turquie, les projets de front de revers avec l’URSS). Tout en redonnant une vraie place aux états-majors généraux et à leurs chefs et en pointant un certain nombre de disfonctionnements, le livre nous laisse donc sur notre faim sur certains points. On doit cependant reconnaître son imposant appareil de notes de référence et la longue liste finale des archives consultées, autant de pistes ouvertes pour ceux qui veulent creuser davantage tel ou tel aspect.

Un volume d’autant plus important que le sujet n’avait pas encore été traité sous cet angle pour le grand public. Une étude indispensable dans toute bibliothèque sur les années d’avant-Seconde guerre mondiale.

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