AMIE, C’EST LA GUERRE!
Chers lecteurs,
Dans le contexte actuel, il vous est quasiment impossible d’avoir accès à nos ouvrages, surtout à nos nouveautés. Aussi, si vous ne pouvez venir à nous, c’est nous qui allons venir à vous. Dans les prochaines semaines, nous allons vous proposer de découvrir sur notre blog et notre page Facebook des extraits d’ouvrages qui ne sont pas encore parus et que vous pourrez retrouver dès que possible dans votre librairie préférée.
Nous allons commencer par vous faire découvrir sous forme de feuilleton une fois par semaine, un ouvrage exceptionnel : Amie, c’est la guerre.
Il s’agit d’une histoire de guerre, celle de 14-18, mais aussi et surtout d’une véritable histoire d’amour qui nous permet à distance d’écouter une conversation intime entre époux, rendant ce couple si proche de nous et si contemporain. Théonie et Henri Arnaud sont deux paysans très modestes des confins du Poitou et de la Saintonge. En 1914, quand la guerre éclate, ils ont la trentaine et sont mariés depuis dix ans. À partir du 7 août, ils sont séparés et s’écrivent quasiment tous les jours. Lui est mitrailleur dans l’Aisne, dans la Somme, au Chemin des Dames et en Champagne ; elle assure la survie de l’exploitation agricole avec ses beaux-parents et ses deux filles. Leur correspondance quotidienne s’arrête le 25 janvier 1919, au retour du mari. Ces lettres de guerre nous éclairent sur la vie de tous les jours de deux « invisibles de l’histoire ».
Le caractère exceptionnel tient aussi à ce que la correspondance recouvre toute la période de la guerre et au-delà. Une authenticité absolue, aucune retouche aux textes, ni par les auteurs, ni après.
Bonne lecture

AMIE, C’EST LA GUERRE
CORRESPONDANCE DE GUERRE
DE THÉONIE ET HENRI ARNAUD (1914-1919)
Présentation
Le 6 février 1903, Henri Arnaud, un jeune poitevin de vingt-deux ans habitant le village de Paizay-le-Chapt (Deux-Sèvres) écrit à Théonie Broussard, saintongeaise de trois ans sa cadette et demeurant à Contré (Charente-Inférieure), à 13 kilomètres de chez lui :
« Mademoiselle,
Vous me trouverez peut-être un peu osé de prendre sur moi la liberté de vous écrire sans autorisation aucune. Peut-être est-ce un manquement aux convenances, mais j’espère que vous me pardonnerez cette incartade aux règles ordinaires de la société. D’ailleurs, Mademoiselle, j’ai pour vous le plus profond respect, et veuillez croire que mes paroles ne comportent aucune arrière-pensée pouvant vous offenser en quoi que ce soit. […] »
Ils se marient un peu plus d’un an après, le 26 avril 1904. Ils ont trois filles, Henriette, Madeleine et Julia, nées en 1905, 1906 et 1910. La troisième meurt l’année suivante.
Le dimanche 2 août 1914, les gendarmes apportent à la mairie de Paizay-le-Chapt, là où habite la famille Arnaud, les affichettes portant l’ordre de mobilisation générale. Le vendredi 7, Henri part à la guerre. Il écrit : « Je suis arrivé ce soir à Poitiers à 3 heures […]. Nous partons probablement demain soir ou dans la nuit de dimanche pour Paris. » Après le Camp retranché de Paris, il est sur le front de l’Aisne, dans la bataille de la Somme, au Chemin des Dames, dans les Vosges puis en Champagne et au Luxembourg. La famille Arnaud n’est pas riche, loin s’en faut, mais elle exploite une quinzaine d’hectares de terres, moitié à lui, moitié à elle. En l’absence du mari, l’épouse endosse le rôle de chef d’exploitation. Compte tenu de ses nouvelles responsabilités et des difficultés extrêmes du moment, elle est la proie d’une angoisse omniprésente et continuelle.
En un peu plus de 1 600 jours de séparation, moins quelques permissions pour travaux agricoles et pour l’enterrement de ses parents à lui, Henri et Théonie ont échangé 2 000 lettres environ, soit plus d’une par jour en moyenne. 1 500 sont encore aujourd’hui conservées. On sait que, au total, les lettres qui ont transité par la Poste aux Armées de 1914 à 1918 entre le front et l’arrière se chiffrent non pas en millions mais en milliards, et qu’elles constituent un matériau dont les historiens font leur miel. Beaucoup de ces correspondances ont d’ailleurs été publiées. L’intérêt exceptionnel de celle – inédite – de Henri et Théonie Arnaud réside dans sa continuité de 1914 à 1919, dans sa constitution « en miroir » entre le front et l’arrière, entre l’époux et l’épouse, dans sa densité humaine et émotionnelle. Dans sa richesse documentaire enfin : la voix des campagnes « profondes » est si rare et, pour une fois, si riche… Ces documents sont aussi d’une authenticité absolue, n’ayant été en rien retouchés après-guerre comme l’ont été certains carnets de soldats. Enfin, il est rarissime que de très modestes agriculteurs aient construit, comme ils l’ont fait à deux, une manière d’œuvre d’une belle qualité d’écriture.
Comme d’autres sont des enfants de la rue, de la balle, de la guerre ou des enfants de Dieu, Henri et Théonie Arnaud sont des enfants de l’école républicaine. On voit dans quelques lettres le père de Henri lire son journal, mais ni lui ni sa femme n’écrivent et ils passent par le truchement de leur belle-fille (tous vivent sous le même toit) pour transmettre saluts, vœux de bonne santé et remerciements à leur fils. Quant à Anathalie, la mère de Théonie, elle écrit régulièrement à sa fille et à son gendre, mais son orthographe est plus qu’approximatif et son style décousu. Ils sont nés entre 1851 et 1862, Henri et Théonie en 1880 et 1883, toute la différence est là. Et, si l’on ose dire à propos de deux personnalités à ce point influencées par la libre-pensée, l’école a été pour eux une quasi religion, y compris durant les années de guerre, au point que leur fille cadette deviendra institutrice quelques années après l’armistice. D’ailleurs il y a, aujourd’hui encore, deux monuments à Paizay-le-Chapt : le monument aux morts, bien sûr, et un monument de pierre placé à l’une des sorties du village. Il est en forme d’obélisque et porte une plaque de marbre sur laquelle sont gravés ces mots : À J.L. FRELET INSTITUTEUR LAÏC.
Cette correspondance nous fait pénétrer dans l’intimité du couple. Théonie Arnaud commence invariablement (ou presque) ses lettres à son mari par l’invocation « Ami » et Henri fait de même en écrivant « Amie » à sa femme. Ils terminent leurs missives en s’échangeant, selon les jours, des dizaines, des centaines ou des milliers de baisers. Et quels sont les tout derniers mots de la toute dernière lettre de Henri, annonçant le 25 janvier 1919 son retour à la maison ?
« À bientôt, je t’aime. »
Marc Botlan
27 mars 2020
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