La Revue “Guerre et histoire” parle du livre de Simon Catros

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La revue “Soins infirmiers” évoque notre livre “Enquête sur le soin des personnes sans-domicile” de Laureline Coulomb

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La Revue XVIIe évoque le livre Paris, ville
de cour (XIIIe-XVIIIe siècle) de Boris BOVE, Murielle GAUDE-FERRAGU et Cédric MICHON (dir.),

Le rapport entre la cour et la ville, vieux sujet de discussion comme le font
remarquer Werner Paravicini et Jean-Marie Le Gall, connaît depuis plusieurs
années un profond renouvellement. Cet ouvrage, issu d’un colloque international
ayant eu lieu en 2014, s’inscrit dans ce mouvement, inspiré des travaux
allemands menés depuis 1992 dans le cadre de la Residenzen-Kommission, et
notamment de sa collection « Residenzforschung ». Il se propose de traiter le
« sujet cour/ville », « longtemps resté dans l’angle mort de l’histoire de Paris,
celle de l’État et celle de la Cour » (p. 334). C’est le premier mérite de ce livre
que d’avancer une réflexion théorique sur un objet qui, s’il n’est pas étranger à
la production historiographique française, n’a pas connu le même développement
que chez les historiens du Saint-Empire. Bien davantage qu’une synthèse,
les communications présentent un aperçu des différentes approches pratiquées
pour essayer de mieux appréhender la dialectique qui s’instaure entre la cour et
la ville (p. 19). À cet égard, il faut relever que les définitions peuvent varier
selon les communications, et les réflexions conclusives de Werner Paravicini et
de Jean-Marie le Gall permettent de dégager une vision d’ensemble sur la cour,
la ville de Paris et les liens qui se nouent entre les deux.
Après une riche introduction, faisant un point sur l’historiographie urbaine
et curiale pour la période médiévale puis pour l’époque moderne, les dix-sept
contributions ont été réparties en six ensembles, chacun introduit par une
courte problématisation venant rappeler ses grands enjeux. Sont ainsi passés en
revue la fréquentation de Paris par la cour, la question du logement en ville,
l’économie de cour en ville, les représentations sociales, les échanges culturels
entre les deux entités et enfin les investissements des gens de cour dans la ville.
Trois grands axes nous semblent ressortir des différentes communications et
constituer autant de parcours de lecture. Plusieurs interventions sont ainsi organisées
autour de la question de la résidence de la cour et de la fréquentation de
Paris. Boris Bove, dans sa synthèse sur les itinéraires royaux au Moyen Âge,
propose l’heureuse expression de « région résidence » (p. 48) pour montrer que
le nomadisme des souverains reste souvent dans l’aire parisienne. L’immense
mérite de cette contribution doit être souligné a fortiori pour la maîtrise des
Systèmes d’Information Géographie (SIG) qui permettent la production de
nombreuses cartes, en noir et blanc et en couleurs dans le livret central, livrant
une représentation graphique synthétique des déplacements royaux. Il faut lire
cette contribution en regard de celle de Caroline Zum Kolk sur la sédentarisation
de la cour sous les derniers Valois ainsi que de celles de Laurent Lemarchand
sur Paris et de Guillaume Fonkenell sur le Louvre. La fixation apparaît
comme un phénomène toujours sujet à caution et, en tout cas, qui n’est caractérisé
par aucune forme de linéarité. Paris ne l’emporte jamais comme unique
lieu de vie des souverains français et s’insère dans un réseau spatial de résidences.
Ces réflexions s’avèrent indispensables pour penser le rapport dialectique
qui s’instaure entre capitale et cour, les deux ne se superposant
qu’épisodiquement. Les contributions de José Martínez Millán sur la cour de
Madrid aux XVIe-XVIIIe siècles et de Rita Costa-Gomes sur Lisbonne entre
1300 et 1500 viennent apporter d’utiles éléments de comparaison. On peut
toutefois se demander si ces éclairages n’auraient pas dû être mieux rattachés à
l’ensemble pour proposer une véritable réflexion comparative. Sans diminuer la
valeur des interventions prises individuellement, elles n’apparaissent pas toujours
clairement reliées au propos général.
Un deuxième ensemble de contributions traite de la complexité des relations
entre ville et cour. Ces dernières apparaissent, avant tout, caractérisées par une
situation d’interdépendance. L’approvisionnement de la cour requiert la ville tout
comme la cour génère une demande pour la ville, ce qu’illustrent les interventions
de Florence Berland sur la cour de Bourgogne et l’économie parisienne (1363-
1422) ou d’Arnaud Alexandre sur la commande d’orfèvrerie de Louis d’Orléans
et de Valentine Visconti. De même, la ville ne cesse de constituer une sphère
d’investissement pour les courtisans comme en témoigne l’exemple de Louis
Malet de Graville étudié par Mathieu Deldicque autour de 1500 ou l’étude
d’Élodie Ozenne sur les sépultures parisiennes des gens de cour (XIIIe-XVe siècle).
L’étude de Guillaume Fonkenell sur le Louvre montre que le pouvoir royal luimême
ne cesse d’interagir avec les grandes institutions de la capitale en vue
de l’achèvement du Louvre (p. 110). Là encore, les contributions restituent les
dynamiques qui prennent place dans ce dialogue entre cour et ville.
Enfin, ces liens ne s’arrêtent pas à des questions foncières, économiques ou
politiques mais revêtent aussi une dimension d’hybridation sociale et culturelle
que reflète un dernier groupe de contributions. Monique Chatenet évoque ainsi
les espaces des fêtes et les cérémonies de la cour à Paris au XVIe et XVIIe siècles.
Elle étudie notamment le carrousel de 1612 qui apparaît comme un moment
d’association entre la cour et la ville. De même, Marie Bouhaïk-Gironès, dans
son étude sur le théâtre à Paris aux XVe-XVIe siècles, conteste la dichotomie
bakhtinienne de la farce comme divertissement populaire par opposition à un
milieu officiel qui serait celui de la cour. Elle démontre, au contraire, que
jusqu’au succès de Molière, la farce a toujours remporté du succès comme genre
de cour. Une communion s’instaure dans la culture théâtrale entre urbanité et
curialité. Cette hybridation se trouve sous une autre forme dans la cour de
Marguerite de Valois étudiée par Bruno Petey-Girard entre 1605 et 1615. Il
définit justement cet espace comme « ni exactement la cour, ni exactement la
ville ». Cette étude permet, en outre, d’observer les circulations d’artistes entre
la ville et la cour. Les interventions invitent à sortir de la problématique de
l’influence pour chercher à complexifier et à contextualiser les liens entre les
deux entités. L’étude de Pauline Lemaigre-Graffier sur les Menus Plaisirs du roi
dans le Paris des Lumières va dans ce sens. La présence même de l’hôtel de cette
administration à Paris infirme l’idée d’une univoque prépondérance versaillaise.
L’affirmation d’un statut juridique particulier de ses biens rend possible leur
présentation au public. La cour et la ville sont donc les acteurs d’une coproduction
de biens patrimoniaux et contribuent à la création d’une « capitale culturelle
» (p. 265). Au-delà de ces lieux de productions culturelles, ce sont des
modèles sociaux qui circulent entre la cour et la ville, comme l’examine Laurent
Lemarchand au moment de la Régence.
L’impossible séparation de la ville et de la cour apparaît comme un acquis
indéniable de cet ouvrage, de même que l’invitation à poursuivre l’étude des
modalités de ce rapport en étudiant sa diversité et son évolution dans le temps.
Pour autant, la lecture des interventions fait apparaître une très large domination
de l’époque médiévale, d’autant plus que les interventions traitant la question
de l’approvisionnement sont toutes exclusivement centrées sur la période
médiévale. S’il faut déplorer l’absence des communications de Marjorie Meiss-
Evens sur le Paris commercial des Guise et d’Alexandre Gady sur les hôtels
parisiens au début du XVIIIe siècle, cette situation traduit, toutefois, un état de
la recherche où le questionnement sur les liens entre la cour et la ville rencontre
plus d’échos chez les médiévistes que chez les modernistes. Par ailleurs, la plupart
des contributions concernant l’époque moderne traitent davantage des
questions de circulation des pratiques sociales et culturelles ainsi que des enjeux
de représentation. Il faut, à ce propos, louer l’article de Guillaume Fonkenel
qui montre les luttes juridiques entre les différentes institutions présentes dans
la ville et l’impossibilité pour la monarchie de défendre son projet d’aménagement.
Les tensions, voire les affrontements ouverts, intervenant dans le rapport
entre la ville et la cour, auraient ainsi pu être davantage soulignés, notamment
à travers la question du conflit des juridictions en présence et ses effets sur le
fait urbain. La dimension politique aurait, peut-être, gagné à être davantage
accentuée, bien que l’amplitude de l’arc chronologique parcouru rende difficile
d’en proposer une vision synthétique. Le grand mérite de l’ouvrage est d’avoir
posé ces questions et d’avoir proposé des réflexions innovantes pour commencer
d’y répondre.
Jean Sénié
http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4505
La Revue XVIIe évoque le livre, “Les Protestants à l’époque
moderne. Une approche anthropologique” Olivier CHRISTIN et Yves KRUMENACKER (dir.)

Ce vaste volume, composé de 32 contributions, fait suite à deux colloques,
tenus à Lyon et à Neuchâtel en 2011 et 2012, qui cherchaient à établir une
anthropologie des protestantismes. La question qui motive l’ouvrage est simple :
existe-t-il, pour les hommes et les femmes touchés par la Réforme à l’époque
moderne, un mode d’être au monde qui pourrait être qualifié de spécifiquement
« protestant » ? Cette question prend toutefois une résonance toute particulière
quand on parle du protestantisme, et plus précisément des protestants : l’historiographie
a été en effet longtemps nourrie par la volonté de démontrer, à la
suite des travaux de Weber ou de Troeltsch, que la Réforme porterait en elle,
de façon intrinsèque, la modernité, ou par l’idée que, dans le cadre d’une
« civilisation des moeurs » qui opérerait à l’échelle européenne, il existerait un
« homme protestant » (pour reprendre le titre d’ouvrages d’E. Léonard ou de
J. Garrisson) dont le comportement social serait le reflet d’une forme de purification
des pratiques et des croyances sur le plan religieux. Or, comme le rappellent
O. Christin et Y. Krumenacker dans leur introduction générale, user de
tels paradigmes peut conduire à des défauts méthodologiques : la téléologie,
qui consisterait à rechercher dans le protestantisme les racines de toutes les
caractéristiques des démocraties modernes ; l’essentialisme, qui conduirait à ne
plus lire les comportements des protestants qu’à travers des stéréotypes (dont
la figure du protestant austère et rationnel ne serait pas le moindre) ; le postulat
d’un singularisme protestant qui serait à l’avant-garde des évolutions de la
société, qui ne correspond plus du reste aux avancées les plus récentes de la
recherche. Face à une historiographie qui a longtemps été effectuée dans une
perspective confessionnelle, et a pris très au sérieux les sources normatives issues
des institutions religieuses qui visaient à établir une distinction franche entre
confessions, cet ouvrage se propose alors de remettre à l’honneur un constat
qui avait déjà était effectué par Élisabeth Labrousse (citée p. 149) pour les
huguenots : les protestants sont des hommes et des femmes de leur temps, qui
n’ont pas tant rejeté un ensemble de rites et de pratiques condamnés comme
archaïques, qu’ils les ont adaptés, ou leur en ont substitué des nouveaux, qui
dépassent le simple domaine religieux mais gagnent toute la sphère sociale. Il
est alors légitime de poser la question de l’intégration des réformés dans les
sociétés auxquelles ils appartiennent, ou, au contraire, celle de leur différenciation.
L’ouvrage est trop vaste pour que l’on puisse ici évoquer l’ensemble des
interventions, regroupées en cinq thèmes par les coordinateurs : la culture matérielle,
le rapport à l’espace, le rapport au temps, la rhétorique et le langage, le
corps et ses usages sociaux. Le lecteur pourra se reporter à la table des matières
disponible sur le site de l’éditeur, ou à l’index en fin de volume. Il est pour
autant possible de dégager une démarche d’ensemble chez les contributeurs :
ceux-ci ont eu le souci de prendre de la distance avec les sources normatives
qui avaient jusqu’à présent nourri l’essentiel des études sur les comportements
et ont renoncé à les lire dans une approche strictement confessionnelle. Cela
les conduit à trois types de constats : — l’idée que si le comportement des
réformés est certes à mettre en relation avec le dogme, il est aussi souvent le
reflet d’une appartenance sociale, et plus généralement d’une inclusion dans
une société dont ils partagent les valeurs et les préceptes avec leurs pairs d’autres
confessions. P. Meyzie montre ainsi que si les protestants du Sud-Ouest de la
France sont attachés à l’idée que le jeûne ne doit pas être imposé, et adoptent
parfois à cet égard des pratiques provocatrices, on ne remarque pas, sauf pour
la viande en Carême, de différence d’habitudes de consommation avec ceux
qui appartiennent au même milieu social qu’eux ; — la démonstration que la
spécificité protestante ne dépend pas tant de l’intériorisation et d’une traduction
d’un dogme religieux, que d’une stratégie ponctuelle qui s’explique par d’autres
notions historiques. Ainsi, la contribution de T. Debbagi-Baranova rappelle que
les idées monarchomaques sont partagées et circulent largement entre auteurs
catholiques et protestants dans les libelles ; pour autant, la différence se situe
dans la conception qu’ils se font de leur destinataire, les protestants préférant
juxtaposer des pièces venues des différents camps pour inciter le lecteur à
construire son raisonnement, tandis que les catholiques guident davantage
l’appréciation de celui-ci en présentant une lecture eschatologique et orientée
des événements ; — l’idée qu’il est possible d’analyser des phénomènes ayant
fait l’objet de travaux dans l’histoire de la Réforme à l’aide de nouveaux outils
issus de l’anthropologie : ainsi, dans sa contribution sur le viol à Genève,
A. Eurich entreprend de mettre en évidence le rôle joué par la transformation
de cet acte de violence en crime moral, qui encouragerait la sanction exemplaire
mais rendrait la défense plus difficile, en particulier pour la victime toujours
accusée d’avoir pris part au péché, dans un contexte où la vision de la séduction
est toujours orientée par la possibilité du rapt.
Une telle approche permet à l’ouvrage de largement réussir son pari : proposer
une analyse d’un comportement spécifique des individus touchés par la
Réforme, tout en les réintégrant pleinement dans un champ historique, social
et culturel face auquel ils ne s’inscrivent plus en opposition, mais qu’ils contribuent
à forger et avec lequel ils entrent en interaction. Par des contributions
de qualité, soucieuses de se prêter au jeu proposé par les coordinateurs,
l’ouvrage ouvre alors des perspectives d’études dans de nombreux domaines
inédits. Citons-en deux : la linguistique, avec les deux interventions complémentaires
d’I. Grenier et de C. Skupien-Dekens sur l’existence d’un idiolecte
huguenot, le « patois de Canaan » (la tendance à ne pas jurer, à omettre l’article
devant Christ, à parler de Dieu comme L’Éternel, à aimer employer l’adjectif
seul…), revendiqué par les locuteurs (comme par leurs opposants) et qui trouverait
sa source dans une fossilisation des tournures des traductions de la Bible
de Genève en 1588 et d’Osterwald en 1724-1744 ; l’histoire de la médecine,
avec l’article d’A. Serdeczny qui relie la création des sociétés de réanimation
des noyés à l’intérêt des protestants pour les théories médicales héritées de
l’Antiquité et leur refus d’envisager certains retours à la vie comme des miracles.
On notera enfin la contribution originale de L. Obadia, qui s’interroge sur la
façon dont le protestantisme peut, par analogie, être utilisé en anthropologie
religieuse (en l’employant pour tout groupe qui entreprend de revenir aux
sources et de purifier une pratique religieuse).
Même si le volume reste majoritairement marqué par l’historiographie francophone
du protestantisme (on compte 25 interventions sur 32 portant spécifiquement
sur le calvinisme et 17 sur la France, contre 4 sur des espaces
luthériens ou sur les Provinces-Unies), il offre un état de la recherche exhaustif
et des perspectives intéressantes sur la possibilité d’user de nouveaux concepts
et d’intégrer l’histoire du protestantisme à cette tendance de fond qui voit dans
le champ de la recherche en sciences humaines une attention de plus en plus
forte accordée aux comportements sociaux et culturels des populations du passé.
À l’image des coordinateurs (p. 592), on ne peut que souhaiter que la lecture
de cet ouvrage ambitieux et stimulant suscite ce genre de vocation.
Adrien ARACIL
La Revue XVII parle de “Versailles ou la disgrâce d’Apollon” de Gérard Sabatier

Dix-huit ans séparent les deux livres que Gérard Sabatier consacre à Versailles,
château incarnant dans l’imaginaire collectif la puissance de l’absolutisme
français. En 1999, la parution de Versailles ou la figure du roi offrait un
regard novateur sur un palais trop facilement présenté comme l’expression du
génie classique français, lubie d’un jeune souverain désireux d’inscrire sa puissance
dans la pierre. Le spécialiste de l’iconographie politique du Grand Siècle
invitait le lecteur à comprendre la succession de programmes encomiastiques
mis en oeuvre dans le château et ses jardins par le ministère de la gloire ludovicienne.
Il démontrait également que l’efficace de cette promotion visuelle d’un
pouvoir absolu était à relativiser en un temps – le début du XVIIIe siècle – où
les images symboliques ne parvenaient plus à toucher un public désormais en
quête d’émois esthétiques. La richesse des sources rassemblées et commentées
comme l’abondance des illustrations faisaient de cette analyse un outil érudit
et précieux, preuve que Versailles était un territoire digne de l’intérêt des historiens
du politique.
À présent, c’est à la disgrâce d’Apollon que l’auteur nous convie alors que
depuis la publication de son premier volume versaillais il n’a cessé de travailler
sur les représentations princières et sur les cérémoniaux monarchiques ; les funérailles
ayant du reste largement retenu son attention. Avec ce dernier ouvrage,
Gérard Sabatier réaffirme que Versailles ne se réduit pas à la demeure du Soleil,
temple où la déité apollinienne dominerait le decorum. Contrairement à ce que
laisse présager le logo du château, visuel conçu pour appâter les visiteurs fantasmant
sur le Roi-Soleil, l’imaginaire politique centré sur Apollon n’a perduré
que jusqu’en 1680, détrôné ensuite par d’autres modes de figuration du prince.
C’est à cette évolution symbolique que s’intéresse l’historien en adoptant une
approche diachronique, depuis la conception des programmes figuratifs jusqu’à
leur explicitation puis leur réception.
Il distingue ainsi trois grands modes de représentation se succédant dans le
Versailles du règne de Louis XIV. Le premier donne la primeur à Apollon,
assimilé au Soleil, qui s’installe d’abord dans les jardins par le biais de décors
éphémères puis de statues pérennes. Des années 1660 à la fin de la décennie
1670, la métaphore astrale déployée à l’extérieur du château confère au souverain
le rôle de grand ordonnateur du monde, tautologie de la devise royale
adoptée définitivement depuis 1662. Quoique fort séduisant, le système ornemental
centré sur le fils de Jupiter ne prévaut pourtant pas sur la composition
des jardins à la française. Ceux-ci sont en effet conçus antérieurement, preuve
que le roi se soucie davantage des impressions produites par les paysages
d’André Le Nôtre et les jeux d’eau de ses fontaines que des effets de la statuaire.
À l’intérieur du palais, la thématique solaire se retrouve dans le projet originel
des Grands Appartements pensés comme un chapelet de sept planètes exposant
l’ensemble des vertus royales. L’ordonnancement des pièces selon un axe est/
ouest ne reflète nullement les conceptions scientifiques du cosmos qui prévalent
à l’époque mais s’accorde plutôt aux fonctions dévolues à chacune d’elles. Ainsi,
l’enfilade édifiée puis décorée entre 1668 et 1681 – avec une pause pendant la
guerre de Hollande – porte sur le début du gouvernement personnel de
Louis XIV, période où prime moins le roi de guerre que le prince bâtisseur et
mécène, maître magnanime veillant à la prospérité de son royaume. Si Charles
Le Brun convoque des figures historiques et mythologiques, c’est pour mieux
affirmer que le monarque qu’il sert dépasse ces modèles en concentrant en luimême
l’ensemble des vertus présentées. Quant à savoir si l’ensemble célèbrerait
davantage Colbert et sa politique que le roi, jamais figuré dans ces salons,
Gérard Sabatier n’y souscrit pas complètement préférant y voir l’expression
d’« un programme royal à la Colbert » (p. 58).
À la sublimation du Roi-Soleil, déjà entachée par la réorganisation du dispositif
cosmique des appartements, succède l’épopée héroïque toute à l’honneur
de Louis-le-Grand. Ce changement sonne le glas de l’analogie apollinienne,
l’histoire du règne constituant dès lors la source d’inspiration des artistes. Deux
espaces témoignent de cette évolution. D’une part, l’escalier des ambassadeurs,
chantier qui court de 1674 à 1680, oeuvre monumentale où le monarque, vêtu
à l’antique, triomphe tel un empereur romain. Sachant s’adapter aux contraintes
du lieu, Le Brun y compose une ornementation digne des plus belles églises
baroques et transforme ce lieu de passage en un espace scénique où s’entremêlent
le politique et le sacré. La Grande galerie, d’autre part, achève de diviniser
le prince au moyen d’un éloge pictural occupant toute la voûte. Soulignant
la singularité de celle-ci par rapport aux autres galeries françaises, l’auteur
revient sur les deux projets décoratifs ne trouvant pas grâce aux yeux de
Louis XIV en 1678. Il explique ainsi que la célébration solaire, probablement
attendue tant la lumière prime dans la galerie des Glaces, est écartée car
Mignard achève au même moment une galerie d’Apollon pour le château du
frère du roi à Saint-Cloud. La proposition herculéenne qui suit ne remporte
pas plus de succès. À la fin de l’été 1679, le discours héroïque est finalement
adopté par le conseil d’en haut, manière de louer le roi autrement que par la
fable, manière de produire une peinture parlante faisant accéder l’histoire du
règne à une certaine forme d’éternité.
Dans les pages suivantes, l’historien se livre à une explication minutieuse des
1 100 m2 de peinture recouvrant la voûte en reprenant le sens de lecture proposé
par le Mercure Galant en 1684 et revient sur l’historique des inscriptions
attenantes. L’argumentaire visuel soutenu par le « grand médaillier royal »
(p. 133) qu’est la galerie, auquel il adjoint les salons de la Paix et de la Guerre,
revendique la suprématie des Bourbons sur leurs ennemis occidentaux tout en
proclamant que la paix de 1678, concédée par Louis XIV, a permis à l’Europe
de repousser l’infidèle.
La dernière tendance encomiastique en vogue à Versailles dans les années
1680 correspond à l’apologie de Louis-Auguste, entamée dans la Grande galerie
puis prolongée dans la statuaire extérieure. Afin de faire de la France la nouvelle
Rome et alors que l’influence de Le Brun décline au profit d’Hardouin-Mansart,
la statuaire antique envahit le palais d’État, un aqueduc colossal est amorcé,
le Trianon de marbre remplace le Trianon de porcelaine. Cette ferveur pour
l’antique se retrouve dans la « cité-jardin » (p. 231) de Marly, résidence de
plaisance présentée par les plumitifs de l’époque comme le « palais du Soleil »,
déformant ainsi les intentions des concepteurs du complexe.
Le rayonnement de Versailles et de ses satellites se mesure aussi à l’aune des
publications qui accompagnent leur édification. Qu’elles soient officielles ou
courtisanes, avec une intention pédagogique, touristique ou diffusées pour
éblouir le lecteur/spectateur, la littérature et l’iconographie relatives au château
témoignent de la diversité des interprétations de ces panégyriques visuels. Surtout,
cela interroge sur l’efficace de cette communication auprès des contemporains,
habitués ou non de la cour, comme auprès des curieux des siècles suivants.
L’opacité de certaines oeuvres donne libre cours à tout genre d’analyses, des
plus fantasques aux plus sérieuses et atteste que Versailles, accédant au statut
d’oeuvre d’art, a « échappé à son créateur » (p. 311).
Porté par un titre qui sonne comme un oxymore et qui rappelle l’ouvrage
de Chantal Grell et de Christian Michel paru en 1988 (L’École des Princes ou
Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste,
Paris, Les Belles-Lettres, 1988), le livre reprend les analyses menées par l’historien
des représentations il y a presque vingt ans pour les confronter aux publications
récentes. L’entreprise suit donc la même démarche que la précédente et
ne s’en distingue que dans l’économie de certains passages (le développement
liminaire du premier opus par exemple) et les prises de position à l’égard de
nouvelles analyses (celle consacrée au livre de Michel Jeanneret étant particulièrement
convaincante). Si l’on peut regretter la brièveté de la conclusion,
quelques manques de référencements (p. 186) et l’absence d’une position claire
quant à la notion de propagande – comparons les pages 235 et 274 –, il faut
reconnaître que les démonstrations de Gérard Sabatier opèrent toujours et que
la qualité visuelle de l’ouvrage sert la précision des descriptions. Cependant on
aurait volontiers ajouté que les critiques étrangères à l’égard d’un Phaéton
accusé de pécher par idolâtrie contribuent aussi à la défaveur d’Apollon. À
l’heure où l’on parle de président jupitérien, ce livre déconstruit la figure du
roi apollinien et de sa demeure, rappelant que le « désenchantement du
monde » est bien en marche à l’aube du XVIIIe siècle.
Isaure Boitel